Salon des Réalités nouvelles

Du 18 au 25 octobre 2015 à Paris Le site du Salon des Réalités nouvelles
En observant un paysage, on occulte souvent combien l’histoire des hommes a pu le façonner, et combien de sites doivent leur configuration à la violence d’un conflit. Avec le temps, la terre refoule ses meurtrissures et la nature reprenant ses rythmes saisonniers panse progressivement les agressions qu’elle a subies. Ils étaient les plus grands sujets de la peinture académique composés à la gloire des combattants, mais ces champs de bataille et ces campagnes militaires sont devenus depuis lors de mornes plaines, économes de fureur et oublieuses du lyrisme des actes héroïques. Des territoires ruraux où il a vécu et dont il s’est imprégné, Patrick Dubrac a gardé en mémoire ces générations d’hommes perdus au front, et leurs familles décimés dont les stèles gravées de patronymes témoignent encore dans le moindre des villages du Limousin, comme partout ailleurs en France. Aujourd’hui il invente des paysages gisant sous la peinture comme en ces temps de guerre les peintres « camoufleurs » brouillaient de leur couleur et de leurs formes brisées, les lieux qu’ils souhaitaient épargner du désastre. Mais ce n’est pas cette stratégie de guerre qu’il pratique pour berner la vue et mettre à l’écart la réalité d’un terrain, mais un protocole de travail qu’il met en oeuvre pour user de la matière picturale comme d’un révélateur d’images, de paysages encore enfouis sous la peinture. Son retour au tableau, l’artiste le doit à ses sculptures par assemblage lorsqu’il délaisse leur recouvrement en noir ou blanc pour les couleurs et les techniques mimétiques mises au point par le peintre André Mare pendant la Première Guerre mondiale. Avec une gamme de terre, des nuances d’herbe et des tons sable brossés sur des palettes provisoires qu’il rassemble dans un premier temps sur un mur, Patrick Dubrac revient à la peinture puis passe à l’acte sur des toiles tendues sur châssis. Il y étire désormais des paysages qui naissent des déchirures des couleurs en tubes qu’il mélange et qu’il racle sur son support, avec des outils impropres à l’étalement homogène d’une pâte, un carton déjà peint ou un fragment de contreplaqué. Il génère des crevées, des transparences et des lacunes qui miment des campagnes désertes seulement scindées entre terre et ciel par un horizon d’où sourd une lumière. Paysages anonymes et sans anecdote, car sans point de repère, mais pas sans nom. Un toponyme comme titre nous dit un territoire, une parcelle ou un lopin, et rend à la géographie le passé d’un lieu et son destin lié à l’histoire des hommes. Sous des spatules improvisées, les ocres, les verts sombres et les bruns retrouvent une assise géologique et modèlent un terrain crayeux ou gras taloché sous la rudesse des lames et la violence de ses gestes. On pense à l’artiste franc-comtois, Auguste Pointelin (1839 – 1933) dont les peintures risquaient la banalité pour dire la solitude de ces étendues qu’il traitait de mémoire, car chez Patrick Dubrac, il n’y a rien d’autre à voir que ce conflit, souvent crépusculaire, des matières dont il recherche l’extraction de ce filet de lumière qui irradie l’horizon. Comme son prédécesseur, il préfère les heures indécises faites de chiens et de loups confondus, de terres d’ombre sous des ciels d’encre, lorsque le paysage nait de la scission de ces opacités minérales et atmosphériques, orchestrées par l’apparition d’une aube ou par le déclin solaire. Antérieurement William Turner, John Constable et les Romantiques allemands avaient exploré par la vivacité du geste pictural dans la mise en scène spectaculaire des éléments de la nature, mais aujourd’hui Patrick Dubrac en accentue la dramaturgie au point que chaque paysage arraché ainsi à la peinture se transforme en une austère tragédie de l’espace et du temps.
Jacques Py, 14 avril 2015
  • Vue du Salon des Réalités nouvelles

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